Chantons les saisons


Printemps: un délicieux voyou




                                                                                                                                Photo Marcel Malherbe



Un cas pour les sexologues
 
 

C'est un jeune homme qui ne connaît rien à la vie. Mais quel impatient! Le Printemps veut tout croquer, tout de suite. A peine a-t-il jeté sa gourme que le voilà séducteur redoutable. Rien ne résiste à ce bel adolescent, bouclé comme un dieu grec. Sa frénésie se propage comme une fièvre, ses appétits donnent faim.

  Les sexologues classent le Printemps parmi les éjaculateurs précoces. Les Belles au Bois Dormant, qu'il réveille fougueusement, lui murmurent: pas si vite, pas si vite... Il s'excuse et recommence sur-le-champ. Ou sur la mousse. En s'appliquant un peu plus. C'est l'avantage de sa jeunesse. Le Printemps a des ardeurs inépuisables et bouillonne de sève.
  Il parle d'amour, mais attention, seul le plaisir l'intéresse. Tout lui est bon pour parvenir à ses fins. Serments, mots et yeux doux. Il se fait passer pour poète. Ruse: s'il trousse un madrigal, c'est dans l'espoir de trousser l'imprudente en bénéfice.
  Une fois la résistance vaincue, il vole vers d'autres amours. Lui en veut-on? Même pas. Les abandonnées aiment les blessures qu'il laisse, et lèchent leurs cicatrices avec tendresse, toute une vie. Elles savent que l'infidèle ne s'attache à aucune, butine de fleur en fleur, aide les filles à devenir femme, puis saute les haies et bat à nouveau la campagne. C'est un cabri, un faune dansant, un délicieux voyou.
  Le Printemps enlève des années à chacun, illusion qui dure quelques matins légers. Cela explique que l'on préfère compter dans sa monnaie: j'ai vingt printemps, dit-on, et non vingt hivers. Il barbouille tout en vert, jette du rose ou du blanc aux arbres, dessine des libellules, pisse en averse pour rincer à neuf les paysages: je vous l'ai dit, c'est un jeunot mal éduqué! Il ne pense qu'à faire la fête, jouir, boire et chanter.
  Ne lui parlez surtout pas d'économiser pour ses vieux jours. Il vous rirait au nez! Le Printemps a sans doute le pressentiment qu'il doit mourir chaque année en pleine jeunesse. Intact. Dans sa belle insolence, comme un feu d'artifice à son apogée.


Allez à l'été