OMER

 préfère le Désespoir des singes (3)



35. L'Hôtel des Mules d'Or


Cela avait commencé par de grosses voitures stationnées devant la maison du riche du village. Mauvais signe. Puis le maire, embarrassé, en avait parlé au Conseil municipal: "Ils" veulent construire un hôtel-résidence sur le terrain des Anciens-Saules. On ne peut s'y opposer, le projet est conforme au POS.
Il avait ajouté, pour faire passer la pilule: ça rapportera des impôts à la commune. Et des emplois.
Quelques semaines après, un panneau de quatre mètres sur trois, aussi grand qu'un écran de cinéma, fut dressé sur la parcelle. Portant un texte avec des majuscules à chaque mot: "Complexe du Grand Hôtel des Mules d'Or. Trois Etoiles. 58 Chambres. Piscine. Tennis." Suivaient tous les renseignements d'usage: numéro du permis de construire, nom de l'architecte, des entreprises, de la SA...
- C'est quoi SA? avait demandé Omer.
- Une société anonyme, lui avait expliqué le maire, qui n'avait jamais été aussi explicatif.
- Eh bien, vous pouvez dire à vos anonymes qu'ils ne feront pas de "Complexe" ici. Ce projet est fou, et s'il le faut nous serons plus fous que lui!
Etait-ce une menace? La majorité des habitants se rangea aux côtés d'Omer. Allait-on se laisser envahir par du béton venu d'ailleurs et laisser défigurer à jamais le village? Des emplois! Les jeunes d'ici n'avaient pas la vocation de larbins ou de femmes de chambre...
Le curé Pan-Pan en fit le sujet de ses sermons, six mois durant. Son perroquet apprit un nouveau juron: "Promoteurrr, Promoteurrr!" Les courageux-en-paroles affirmèrent que la dynamite était prête pour le premier mur qui sortirait de terre.
En temps normal, toute cette indignation n'aurait servi à rien. L'argent est un monstre qui avale les coeurs les plus purs. Ne proposa-t-on pas au curé de rénover entièrement son église s'il mettait une sourdine à sa croisade? Alerté, son évêque lui enjoignit d'abandonner en chaire la description des plans de masse de l'hôtel, pour en revenir aux paraboles de l'Evangile. "Laissez à César ce qui est à César mon fils..."
Heureusement, Dieu n'était pas du même avis que l'évêque. Ce qui arrive fréquemment. Comment expliquer autrement que le terrain des Anciens-Saules fut soudainement déclaré inconstructible? (C'est vrai, se souvint alors Omer. Les premiers cadastres, vers 1800, classaient ces terrains en zone marécageuse. D'où ces "saules" dans le nom probablement.)
Le projet fut abandonné, les promoteurs repartirent dans leurs grosses voitures, le gigantesque panneau resta. Quinze ans après, le projet du "Grand Hôtel des Mules d'Or" intrigue donc toujours les estivants.
- Ce n'est rien, leur répond Omer. C'est un cauchemar mort-né. Nous gardons ce panneau pour nous obliger à rester vigilants. De peur que les "anonymes" reviennent...



36. Iphigénie pour un été



Omer n'avait pas d'enfants. On ne peut certes mesurer pleinement la perte de ce qu'on n'a jamais possédé. Mais il se doutait qu'il avait été privé de quelque chose d'essentiel. Aussi, quand il se mit en ménage, le temps de deux moissons, avec la veuve Cattignole, il écrivit à une oeuvre sociale.
« Je suis d'accord d'accueillir un gosse pour les vacances, proposait-il. Un de vos quartiers pauvres. De ceux qui ne savent pas ce qu'est la vraie vie. Ici, il y a des chèvres, une rivière, du bon air, du bon pain, des tomates. J’ai un vélo dans la cave. En un mois je retape votre môme. Une seule condition (et Omer avait souligné): je ne veux pas une fille ou un étranger! »
J'ai peine à le dire, mais Omer était raciste. Par réflexe, sans savoir, parce que tout le monde l'était. Parce qu'à cette époque, le galant qui venait du village voisin courtiser une fille du pays était considéré comme un intrus. Alors, vous pensez, si ces gens de Marseille avaient eu le toupet d'envoyer un petit d'Arabe...
Et pourquoi refuser une fille? Omer redoutait cette race plus que toutes les autres. Une gamine, c'est l'inconnu. On ne sait quoi leur dire, ça a peur de tout. Elles pleurent pour un rien, sont toujours en train de se laver. Passés douze ans, il faut les surveiller comme le lait sur le feu. Un garçon c'est du solide. Un bon petit gars, oui c'est ça qu'il lui fallait.
Le jour venu, Omer prit le car pour aller attendre à la gare son hôte d'un été. Le retour était prévu vers sept heures du soir, à l'heure du pastis. Tout le village était prévenu, il y avait du monde au bistrot.
Quand le car s'arrêta, Omer descendit le premier. Se retourna pour aider un enfant à sauter sur le goudron: une fille! Une négresse!
Conscient de l'énormité de l'événement, Omer annonça à la cantonade: « Voici Iphigénie, de Côte d'Ivoire! Ils n'en avaient pas d'autre. De toutes façons, je n'ai pas hésité. Voyez comme elle est maigrichonne... Elle a besoin de nous.»
Il appuya sur le«nous» et regarda chacun dans les yeux.
Iphigénie, dix ans peut-être, un nœud rose plus grand que sa tête, souriait bravement. Elle roulait des yeux apeurés tout de même, tortillant le bas de sa robe cerise. Sa menotte noire, minuscule, serrait très fort la main calleuse d'Omer.



37. Comment gagner au loto sans jamais jouer



Sur le portail de son jardin potager, Omer avait écrit « Chien susceptible», par égard pour L'Endormi qui n'était pas méchant, et «Gagnant à la loterie». Dans l'enclos, on n'apercevait qu'une branlante cabane à outils, et cette seconde inscription laissait le passant songeur.
Quand Omer était là, en train de gratouiller une rangée de poireaux ou d'attacher une branche de glycine sur les tôles rouillées de sa résidence secondaire, il ne dédaignait pas de venir éclairer la lanterne du quidam.
- Je vous vois intrigué... Apprenez cher monsieur, que je n'ai jamais joué à quelque jeu de hasard de ma vie! Et c'est bien pour cette raison que j'ai gagné une somme rondelette. J’ai fait mes comptes. Si j'avais misé, comme Firmin le boucher, vingt francs par semaine au loto, et cela depuis l'âge de vingt ans, j'aurais dépensé plus de soixante mille francs! Car j'ai quatre-vingt ans à cette heure, même si je ne les fais pas, merci. Ajoutez à cela le tiercé, le facteur y perd cinquante francs chaque dimanche, les loteries sur les champs de foire, la mère Poya y a laissé sa chemise, les machines à sous, la roulette les jours de java comme se laisse aller le berger de Lantosque...
En m'abstenant, j'ai bien emporté une mise de cent mille francs! Combien de joueurs peuvent en dire autant?
- Certes... Mais vous auriez pu gagner.
- Malheur! Que Dieu me protège de cette calamité. L'argent qui tombe sans effort est de la grêle pour l'honnête homme. Quand la chance s'éloigne, après avoir laissé son venin, il croit à de sinistres Père Noëls pour la vie. Adieu courage et volonté!
- Vous avez des principes. A votre place, j'effacerai toutefois cette inscription. Si un agent du fisc s'égare par ici, il pourrait la prendre au pied de la lettre et ne point vous suivre dans vos calculs. D'autant que vos aubergines révèlent l'abondance, vos tomates paraissent un brin trop prospères, et votre glycine, avouez-le, à un côté ostentatoire. Cent mille francs de gagnés, ainsi que vous le prétendez, cela fait combien d'impôts en retard?




38. Pan-Pan collectionne les souvenirs



Les enfants aimaient bien le curé Pan-Pan, qui leur parlait souvent de Dieu, mais rarement de religion. Il savait leur raconter de "vraies" choses, tout de suite, sans perdre de temps à remuer des paroles qui ne servent à rien. Disant par exemple:
- Je vais vous apprendre à collectionner des "souvenirs choisis". Ce qui n'a rien à voir avec les souvenirs ordinaires, enregistrés dans le désordre, qui s'installent sans qu'on l'ait souhaité, et deviennent de plus en plus menteurs au fur et à mesure que le temps passe. Pour être engrangés, les "souvenirs choisis" demandent une grande concentration et la volonté lucide d'en garder une description exacte. C'est à votre âge qu'il faut commencer, si vous voulez disposez plus tard d'une collection complète...
- Comment fait-on?
- Excercice pratique! Vous êtes cinq sous ce tilleul, autour du fauteuil rouge d'Omer: Anaïs, Bruno, Jean-François, Iphigénie, Germain... Couchez-vous dans l'herbe, tenez-vous par la main. Prêts? Il fait doux, le soleil termine sa journée. Regardez: dans la vallée monte un peu de brume. La rivière miroite, par petites taches. Au-dessus de nous, les martinets passent et repassent si vite, que l'air en frémit chaque fois. Regardez: le ciel, la cime du tilleul... Sans parler. Nous sommes bien. Si bien, que nous allons décider de ne plus jamais oublier cet instant.
Maintenant, forcez-vous à regarder avec encore plus d'attention. Comme si vous aviez mal vu jusqu'à présent. Les arbres, leur forme, leur couleur, les nuages qui s'étirent, les martinets qui crient. Le velours râpé du fauteuil rouge. Les cheveux d'Anaïs ou les yeux de Germain... Ce que vous voulez gardez dans un coin secret de votre mémoire. Regardez bien. Tâchez de ne rien oublier de ce tableau.
- Et maintenant?
- Fermez les yeux et récapitulez mentalement votre souvenir. Dans l'ordre où vous l'avez enregistré: la rivière, le tilleul, le fauteuil rouge, le fou rire de Bruno, le crissement des martinets... Si vous vous trompez, regardez à nouveau, vérifiez, et recommencez autant de fois que nécessaire. Il faut que tout soit parfaitement exact, comme inscrit en relief derrière vos yeux.
- Nous avons réussi! Le souvenir est prisonnier dans nos têtes! Mais comment faire pour ne plus l'oublier?
- Au début, il vous faudra souvent le réviser. Comme une leçon. Demain matin en vous réveillant, déjà. Puis au bout d'une semaine, d'un mois. Peu à peu, il deviendra indélébile, et vous pourrez le rappeler avec sûreté: il surgira avec tous ses détails.
- Monsieur le curé, vous avez combien de "souvenirs choisis"?
- Ma collection en compte une douzaine. Malgré toutes mes précautions, mes révisions, beaucoup ont quand même fini par disparaître par les trous de ma mémoire. Mais ceux qui me restent sont si fidèles, si vrais, que chaque fois que je le veux j'ouvre la porte de mes dix, quinze, vingt ans... Et je retrouve la chaleur exacte d'une pierre, le sourire vivant de ma mère, le frémissement précis d'un arbre, instants "photographiés" pour qu'il survivent en moi et témoignent des bouffées de bonheur qui ont fait ma vie.
Mes enfants, nous allons réviser tout de suite votre premier "souvenir choisi": fermez les yeux et rappelez-le. Vous l'avez? Insistez surtout sur les petites choses: la fourmi sur le tronc du tilleul, ce brin d'herbe sur le fauteuil, la brindille qui vous pique le dos. Ce sont elles qui vous aideront le mieux à vous souvenir du tout. Retenez le cri suraigu des martinets...



39. Le chien de Titou le berger



Comme les hommes, les animaux peuvent devenir fous. C'est ce qui arriva au chien de Titou le berger, que l'on dut abattre à coups de fusil. Pour une méchanceté soudaine, dangereuse? Que non! C'était un brave chien, avec son poids de bonté dans les yeux. Rien qui puisse le faire tirer comme un renard enragé.
Titou l'avait appelé "Basco". Parce que c'était un "Pyrénées", du Pays basque, et qu'un nom de chien qu'on lance à pleins poumons dans le vent des collines, ça doit claquer fort et loin. Deux syllabes. Pas une, pas trois. La règle pour un cri sonore. Avec des voyelles. Pas de ces sons sourds qui restent dans la gorge et que l'écho ne renvoie pas.
Basco était un chien de berger exemplaire. Robuste, point flemmard. Garder un troupeau de brebis, avec quelques diablesses de chèvres, il connaissait. On peut même dire qu'il aurait pu se passer de Titou, pour l'ordinaire des jours. Un berger, ça ne sert qu'à dire: "Oui Basco... Vas-y Basco... Vite Basco!" Un berger, c'est l'"Autorisation". Mais il faut lui rappeler sans cesse qu'on n'est pas dans les champs pour bailler aux corneilles ou lire des almanachs.
Les moutons cavalent... Titou est dans les nuages. Les brebis se débinent. Titou joue du flûtiau. Les chèvres fuguent. Titou doit faire exprès de regarder ailleurs.... Basco gémit, frétille d'impatience. Les agneaux sont près du ravin! Basco aboie d'exaspération et Titou tombe enfin de ses lunes: "Vas-y Basco!"
Plus tard, le museau entre les pattes, Basco aurait eu mille fois raison de penser qu'un chien de berger, en vérité, c'est un professionnel qui doit aider un incapable. Mais pareille idée ne pouvait lui traverser la cervelle. Juger son dieu! Dans ses yeux dorés, son amour inconditionnel pour Titou était sans cesse sur le qui-vive. Il ne vivait que pour épier le moindre de ses gestes, guetter ses ordres. L'adorer sans calculs, jusqu'au vertige. En étant payé d'une caresse ou d'un "C'est bien Basco!"
Et Titou mourut. De sa mort d'homme, ce qui est incompréhensible pour un chien. Quand la camarde s'approcha de son maître, Basco fut pourtant le premier à pressentir la froideur de son ombre. Ce sont ses hurlements qui alertèrent le village. Ensuite il y eut beaucoup de remue-ménage, des inconnus arrivèrent dans la maison de Titou, Basco reçut quelques coups de pied: il gênait.
Le lendemain de l'enterrement, on le vit sur la tombe, reniflant la terre fraîche. Tournant en rond, fébrile et gémissant. Comme une chienne cherchant ses petits que l'on vient de noyer. Il ne reconnaissait plus personne, la truffe collée au sol dans une quête haletante. Toute une semaine il fureta ainsi au cimetière, refaisant cent fois le même parcours, espérant retrouver la trace de Titou.
Puis il disparut. A quelque temps de là, les bergers commencèrent à se plaindre de l'étrange comportement d'un chien dans les collines. Celui-ci "s'appropriait" un troupeau et le reconduisait de force dans la vallée. A grands coups de gueule, mettant la dent s'il le fallait, il rassemblait les moutons et les poussait sur les chemins. Affolées, les bêtes dévalaient la montagne ventre à terre, pressées par ce berger implacable.
Plus aucun troupeau ne pouvait rester sans surveillance. A chaque fois, le chien inconnu surgissait, regroupait les brebis, matait les chèvres, et les précipitait sur les routes dans des tourbillons de poussière. D'une façon si rude, pour des parcours si longs, que beaucoup d'entre elles mouraient de fatigue et de peur.
C'était Basco. Le pauvre Basco devenu fou de désespoir. On le tua d'une volée de chevrotines. Il accourut vers son exécuteur avec un grand bonheur, fier de lui, sûr qu'on allait le récompenser comme autrefois d'un "C'est bien Basco!". Il reçut la décharge de face, à vingt mètres, et mourut avec de l'étonnement dans ses yeux dorés.



40. Omer part avant la fin de l'émission




Longtemps, seul le bistrot du village disposa de la TV. Grâce à cet investissement, le patron vit venir à lui les petits enfants. Leurs mères. Les non-poivrots. Les vieux que l'on oubliait. Tous, sauf les mémés. Pour elles, l'endroit restait un lieu de perdition, malgré les grenadines que l'on y servait désormais autant que le pastis. Hélas! Les réunions sous le poste, juché sur une console au-dessus du placard réglementant les débits de boissons, marquèrent la fin des veillées.
Jusqu'alors, on se réunissait le soir dans les fermes, tantôt chez l'un, tantôt chez l'autre. Pour trier des lentilles, griller des châtaignes, écosser des haricots. On jouait au loto, à la belote, et Omer disait des contes à rire ou à faire peur. Une vingtaine de personnes s'entassaient dans la salle commune, la seule chauffée, devant un feu de bûches ou un gigantesque poêle de fonte. Dans les jambes, des chats, des chiens, des marmots qui ne voulaient pas aller se coucher. C'était un autre temps. D'avant la TV.
A présent, elle trônait au bistrot, faisant taire les conversations. Ou presque. Car les habitants du village avaient une manière bien à eux de regarder une émission et de la commenter. Ce qui retenait leur attention, c'étaient la véracité des menus gestes. Plus que le sujet. Ils ne voyaient que l'accessoire et ricanaient sur tous les détails. Aucune erreur ne trouvait grâce à leurs yeux. Voir un film en compagnie d'Omer et de ses amis, était ainsi une expérience fort curieuse:
- Pas possible! Tu as vu comment ce gominé manie son fusil? Il n'a jamais eu son permis de chasse celui-là, c'est sûr!
- Mon Dieu, comme elle tient ses aiguilles! C'est pas croyable. Ma main à couper qu'elle ne sait pas tricoter...
- Elle est verte la poire qu'il pèle! Un cochon la cracherait!
- Et ce bébé! Comme elle le fagote! Elle doit mieux savoir comment on fait les gosses que comme on les torche!
Quel que soit l'intérêt du film, Omer partait un quart d'heure avant la fin. Dérangeant tout le monde, il répétait chaque soir:
- Bof! Tout ça, c'est des conneries!



41. Le dindon part en campagne



Le dindon d'Omer, celui qui faisait nioc-nioc au lieu du glou-glou réglementaire, se prit un jour pour un coq. Définitivement. Ses sonores nioc-nioc claquaient dès quatre heures du matin, comme des gifles sur le front des dormeurs.
Je pourrais vous décrire la lente montée de l'exaspération dans le voisinage, mais j'abrège: après des cris, quelques horions, et des fâcheries qui allaient durer plusieurs générations, le Conseil municipal décida que l'on voterait sur le sort du dindon. Le même jour que pour l'élection du président de la République. Question d'organisation.
La campagne électorale fut mouvementée. On se déchira à coups de tracts, de lettres anonymes, de menaces. Une affiche, concoctée par la secrétaire de mairie, proclamait en lettres énormes: " Respectons les droits fondamentaux du dindon". Et dessous, en plus petit: "Votez Mitterrand". Une autre, dessinée par le garde-champêtre, exigeait: "Tordons le cou au réveille-trop matin!". Avec en pied: "Votez Chirac".
Dans les débats publics, au bistrot ou à la sortie de la messe, le ton montait vite. Chacun savait qu'on était devant un choix de société. Les "pour" et les "contre" coupaient le village en deux. On envoya des procurations à signer tous azimuts. Les vieux parents furent visités dans les maisons de retraite, papier timbré en main. Le Norbert écrivit même à un cousin, établi en Martinique mais resté inscrit sur les listes électorales de la commune: Ta voix peut faire taire le dindon, le supplia-t-il. Vote juste, pense au pays!
Le soir du dépouillement, le correspondant d'un institut de sondage téléphona au maire. Le village avait été désigné comme commune-test. Le sort de la France pouvait, paraît-il, être déterminé à partir des résultats d'ici.
- Alors, quel choix ont fait vos électeurs? demanda l'excité sondeur parisien.
- Un choix franc et massif, hurla le maire au milieu de la foule de ses supporters enthousiastes. Nos adversaires ont essuyé une défaite historique. La modernité l'a emporté sur les forces rétrogrades: c'est le dindon qui a gagné!



42. Omer se lance dans la distillation




Omer s'était mis dans la tête de construire un alambic. Pour faire de la gnole avec ses pommes, son raisin. Ses prunes aussi, les années d'abondance.
- J'ai trouvé les plans dans "Système Débrouille", déclara-t-il au bistrot. Ça m'a l'air très facile...
- Mais c'est interdit Omer! s'étaient scandalisés les joueurs de belote. Fraude le fisc tant que tu veux, mais pas la régie des alcools! Si on te chope, tu finiras quasiment au bagne.
Omer ne parla plus de son projet en public. Mais acheta par correspondance la plus grosse cocotte-minute qu'il put trouver dans le catalogue du "Chasseur français". Des robinets chez le quincaillier. Dix mètres de tuyaux de cuivre. Des cuves en inox.
Bref, tout le village, renseigné par le facteur, savait ce qu'il manigançait. Les gendarmes aussi: "Inutile de s'inquiéter, rassurait le brigadier. Je connais trop bien Omer..."
De temps en temps, tard dans la nuit, on entendait siffler des jets de vapeur. Puis des jurons. Des cris de douleur. Omer se brûlait les doigts. Les bras. La poitrine. Le lendemain, les voisins l'apercevaient couvert de sparadrap. Tu t'est encore battu avec la veuve Cattignole, plaisantaient les plus téméraires.
Arriva pourtant le jour où l'alambic fonctionna. On le sut tout de suite grâce à la lourde odeur de prunes macérées qui se répandit à la ronde. Omer déboula au bistrot, triomphant. Avec une bouteille contenant un liquide rosâtre.
- Juste pour vous faire goûter... dit-il avec des airs de conspirateur.
Les plus hardis avalèrent une gorgée. Pas deux. En regard, l'alcool à brûler était une gourmandise. Le Séraphin cracha ses poumons tout un quart d'heure. Empoisonneur! hoquetait-il la voix cassée, tandis que l'on se relayait pour lui taper dans le dos. Empoisonneur!
- C'est vrai, admit Omer. Il faut que je procède à quelques réglages. Mes serpentins ne serpentent sans doute pas assez... Ou alors, c'est le col-de-cygne.
Je l'avais bien dit, commenta le brigadier mis au courant de la dégustation. Omer est incapable de commettre un tel délit. Il arrivera peut-être à fabriquer du désinfectant. De l'alcool, jamais!



43. Tout finit par un mariage



Il s'appelait Firmin Castillon, elle s'appelait Louise Maguelonne. Vous voyez l'histoire! Les familles se haïssaient depuis des générations. Querelles de bornage ou d'eau d'arrosage détournée. Qui s'en souvenait?
En fait, il s'agissait de rivalité économique, cause ordinaire de tout litige durable ici-bas. Les Maguelonne avaient le tiers des meilleures terres, les Castillon tout autant. Ils s'emparaient de la mairie à tour de rôle, n'ayant qu'une seule politique: être d'avis contraire sur tout. Alternance qui assurait toutefois un équilibre satisfaisant à la commune.
Les enfants étaient élevés dans ce perpétuel esprit de compétition et de rejet de la famille ennemie. L'endoctrinement était quotidien. Chez les Castillon, on sermonnait le petit Firmin:
" Tu dois être le premier de ta classe. Ou tout au moins devant le fils Maguelonne... Son père est un imbécile."
Chez les Maguelonne, on disait à Louise: "Fais ta toilette. Sinon tu vas ressembler à la fille Castillon. Sale comme sa mère..."
La haine se transmettait ainsi jour après jour, comme un catéchisme. Ce qui, plus tard, écartait tout danger d'amourette entre les adolescents des deux clans. Pour aimer, il faut admirer. Façonnés par les vieux, les jeunes se méprisaient depuis le berceau.
Cette histoire est banale et vous attendez le "miracle" de l'amour. Eh bien oui, tout finit par un mariage. Mais ce ne fut pas Roméo et Juliette!
Les années avaient passé. Bel homme, fier-à-bras, le Firmin courait les vendangeuses et les filles de ferme. Levait le coude un peu trop haut. Se bagarrait dans les bals de village. Au fil des étés, tous les beaux partis de la région lui glissèrent entre les doigts... Des ennuis financiers s'ajoutérent: le monde agricole changeait, la ferme familiale ne nourrissait plus la tribu.
De son côté, la grasse Louise, bien moche il est vrai, n'arrivait pas à se caser. Sa famille faisait également les comptes: pour survivre, il fallait mettre en commun machines et main-d'oeuvre sur le double de terres. Bref, la réalité paysanne imposa l'alliance. Firmin le bellâtre épousa Louise la grosse. Ils vécurent en se méprisant, et eurent heureusement moins d'enfants que leurs parents.
Les Maguelonne et les Castillon continuèrent à se haïr. Avec plus de force, puisqu'ils étaient désormais condamnés à vivre ensemble. Avec moins de bruit. Linge et sentiments sales se lavèrent en famille. Le dernier éclat public eut lieu lors du mariage de Firmin et Louise. Une bagarre générale à l'ancienne, faite de coups de sang et de hurlements de femmes. Une empoignée désordonnée et sauvage, où l'on prend garde cependant à ne pas casser la vaisselle de fête.
Raconte Omer...




44. Entre la poire et les châtaignes



" Le mariage eut lieu dans la cour de la ferme des Castillon: par chez nous, c'est la famille de la fille qui paye la noce. Et quand la mariée frôle les 80 kilos, on ne chipote pas. Notez que c'est le seul jour de sa vie où la Louise parut presque belle: était-ce le blanc, le voile... Peut-être le soulagement.
" Les tables avaient été rangées en fer à cheval, sous les platanes. Tout au bout, les "novis". A la gauche de la mariée, le doyen des Maguelonne, Joseph, quatre-vingt-cinq ans. A la droite du marié, la plus vieille des Castillon, Justine, quatre-vingt-dix. Il faisait chaud en ce samedi de septembre, mais tous les anciens portaient le traditionnel costume des paysans de Haute-Provence: en drap noir, chemise blanche amidonnée, gilet, et la large ceinture de tissu autour des reins.
" On avait mélangé les familles autour des tables: un Maguelonne, une Castillon, un Castillon, une Maguelonne. C'était mon idée. N'était-ce pas aussi un repas de réconciliation? Plus de cent personnes à rabibocher: j'avais proposé mes talents d'organisateur. Omer, tu nous sauves, avait applaudi la mère de la mariée. Je n'avais justement pas de cavalier pour la tante Elise...
" C'est comme ça que les gens vous remercient! Me coller cette vieille fille au décolleté consternant, et qui de plus, se prend pour une diva. On n'avait pas fini les cochonailles qu'elle voulait chanter "Sur la mer calmée"...
- Plus tard tantine... Plus tard!
" On mangea du sanglier, avec des haricots, des tomates farcies, quelques canards aux lentilles, de gigantesques gratins. L'oncle Norbert, une bonbonne sur l'épaule, remplissait les verres avec un tuyau-siphon. C'était gai. Quelques remarques perfides fusaient bien ça et là, mais je veillais au grain. Ainsi, on ne sut pas pourquoi le mari de Sophie Castillon avait renvoyé ce beau berger aux yeux verts en plein milieu de l'été, car je fis taire précipitamment tout le monde pour annoncer que tante Elise allait interprêter le grand air de...
- Plus tard Omer... Plus tard!
" Ils avaient raison. Le plateau de fromages arrivait, porté par le garçon et la demoiselle d'honneur. Trois heures déjà qu'on était à table. Les marmots jouaient dans le pré, revenaient en braillant, leur habit de fête gâché... Un petit Maguelonne tomba dans une rigole de purin. C'était vraiment gai.
" Puis on apporta le gâteau. Les mariés le découpèrent avec le couteau à égorger les cochons. C'est à ce moment que le cousin Léonce, plus très frais, lança: Oh les "novis"! Touchez donc en passant la bosse de Maguelonne l'aîné. C'est du bonheur pour la vie!
" Cette phrase réveilla le doyen des Castillon, qui dormait debout. Il balbutia:
- C'est dans les familles tuyaux-de-poële que l'on trouve le plus de bossus. A ce qu'il paraît. Je reprendrai bien un peu de mousseux...
" Il en reçut un verre en pleine figure, balancé par le patriache des Maguelonne: Nom de pas Dieu, répète ce que tu as dit vieux satyre!
" En quelques secondes la mêlée fut générale. Qu'est-ce qui se passe? Qu'est-ce qui se passe? demandaient les plus éloignés, entre deux gnons. On a insulté "le" grand-père, répondaient les mieux renseignés, sans préciser lequel. De toutes façons, les Maguelonne et les Castillon se cognaient dessus en toute confiance. Les chaises volaient, les femmes criaient, les gosses pleuraient. La mariée essaya la crise de nerfs...
"Rien à faire. Si je n'avais pas été là, c'était le massacre! Vu l'urgence, j'ai saisi la tante Elise à bras le corps et l'ai planté sur la table. Elle démarra au quart de tour et clama: "Sur la mer calmée, flotte une fumée..."
Quel talent! Au deuxième couplet la paix était revenue et toute la noce applaudit de concert pour la faire taire.
- C'est assez tantine... Vous allez vous cassez la voix!
" On fit circuler la gnole. Les deux doyens se serrèrent la main pour la galerie, en se bouffant du regard. Puis partirent faire la sieste. Le mari de Sophie Castillon en fit autant. Cet homme, qui six mois plus tard eut un fils aux yeux verts, dormait décidément beaucoup.



45. La mort du blaireau



De loin, on aurait dit un court de tennis. De près, c'était le jardin potager d'Omer. Il faut dire que vouloir cultiver des salades et courgettes en pleine garrigue était un défi: les lapins pullulaient, les campagnols grouillaient, les blaireaux prospéraient.
Omer avait donc entouré son terrain de hauts murs de grillage. Après avoir creusé des tranchées pour faire partir celui-ci à un mètre sous terre, et décourager ainsi les foreurs de galeries. En automne, il couvrait le tout de vastes filets, pour protéger ses cultures des vols d'étourneaux et des grives pillardes.
Résultat: quand il bêchait ses poireaux ou arrosait ses aubergines, Omer avait l'air d'être en cage.
Ce jardin hermétique avait l'inconvénient de ses avantages. On le vit bien quand des garnements y enfermèrent un troupeau de chèvres... Ne pouvant s'échapper, elles dévastèrent en quelques heures le travail d'une année. Après avoir brouté tout ce qu'il y avait à brouter, y compris le chapeau d'Omer oublié sur le manche d'un râteau.
Une autre fois, on alerta Omer avec de grands cris: un blaireau avait réussi à pénétrer dans l'enceinte et retournait des rangées des pommes de terre! Essoufflé d'avoir couru, Omer demanda aux témoins de ne pas faire de bruit. Il allait surprendre et assommer la bête à coups de pelle. Progressant comme un Sioux, il se glissa dans le jardin en prenant soin de ne pas faire grincer la porte.
Affairé à déterrer sans doute des courtilières, le blaireau ne se doutait de rien. Omer rampait d'un carré de petits pois à un carré d'artichauts, d'une rangée de tomates à une rangée de haricots...
Dans un silence total.
Cette approche dura un bon quart d'heure. Les observateurs, accourus nombreux, retenaient leur souffle.
Enfin, Omer fut prêt de la bête. Se dressa d'un bond, et han! d'un seul coup, d'un seul, brisa la nuque du blaireau.
"Je l'ai eu! hurla-t-il comme un chasseur de grands fauves. Je l'ai eu, il n'a pas bougé!"
Durant des mois, on parla de cet exploit au bistrot. En se tordant de rire, le garde champêtre racontait pour la millième fois qu'il avait tué le blaireau une semaine auparavant, et que la charogne était déjà bouffée par les vers quand il l'avait installée dans les plates-bandes d'Omer.



46. Le cauchemar des haricots




Omer cultivait son jardin comme son père et son grand-père l'avaient cultivé avant lui. Tradition, amour et semis. Il connaissait le refrain des saisons, les sautes d'humeur de la nature: bon an, mal an, abondance et pénurie. Il faisait avec.
Puis le facteur commença à glisser des catalogues de jardinage en couleur dans sa boîte aux lettres. Il s'instruisit. Se mêla à des conversations "techniques" au bistrot. Suivit des agriculteurs aux démonstrations de représentants. Se familiarisa avec des noms en "phate", en "hyque" et en "gène". Les engrais miracle étaient arrivés.
Omer traita, vaporisa, aspergea, se réjouit d'abandonner ses brouettes de fumier contre de petits sacs de poudre blanche ou bleue. Il récolta des légumes magnifiques. Plus de maladies, de parasites, de mauvaises herbes.
Enthousiaste, il augmenta les doses des produits, en chercha de plus performants, de plus efficaces. Il devint jardinier-chimiste, puis carrément chimiste-jardinier. Ses fruits battirent des records de grosseur. Il eut des courges gigantesques, des choux gargantuesques, des aubergines comme des trompes d'éléphant. Le goût? Il n'y a pas que le goût, répondait-il agacé...
Jusqu'au jour où Omer fit un cauchemar épouvantable. Toute la semaine il avait suivi les exploits de sportifs à la TV du bistrot. Les JO peut-être. Saturé d'images, impressionné par des histoires de dopage et de scandales, il dormit très mal. Le lendemain, la mine défaite, il demanda une verveine au bistrot. Commande qui réunit tous les joueurs de belote autour de lui: c'était donc si grave?
« Mes pauvres amis! leur dit-il. Cette nuit j'ai tout compris. On nous empoisonne. Je les ai vus: mes concombres étaient aussi monstrueux que les cuisses d'un lanceur de poids. Mes patates sortaient de terre toutes seules, déformées, hy-per-tro-phiées... J'ai vu mes potirons se développer comme les épaules des nageuses de l'Est. Mes tomates se transformer en haltérophiles roumains, avec des biceps, des triceps, des pectoraux qui gonflaient, qui gonflaient... Et moi, pauvre de moi, une seringue à la main, je piquais une à une des fraises aussi grosses que la tête à Séraphin.
- Ce n'est qu'un mauvais rêve Omer...
- Attendez! Tout à coup, je vois mes plants de haricots mangetout qui commencent à grimper comme des lianes. Ils s'accrochent à la clôture du jardin, passent par-dessus, me suivent sur le sentier... Je presse le pas, je cours! Ils poussent leurs tentacules jusqu'à ma maison, la tapissent comme une vigne vierge, l'enserrent à l'étouffer, glissent sous la porte, forcent les fenêtres, recouvrent le toit, redescendent par la cheminée...
Je me planque à la cave. Mais les rames s'allongent toujours, se faufilent dans chaque pièce, me cherchent... Elles m'encerclent, me ligotent comme mille serpents. Horreur! Les mangetout s'insinuent dans mon corps. L'habitent, l'envahissent totalement. Je sens cette verdure proliférer en moi et bientôt d'énormes haricots sortent de mes oreilles, de mes narines, de ma bouche et de mon trou du cul! Comme des vers... verts! Oui, de longs vers verts! Partout! Partout!»
Cette année-là, Omer ne toucha plus à un seul de ses légumes. Il laissa son jardin en jachére, le laboura en tous sens. Pour le décontaminer, disait-il d'un air lugubre. Il se mit à détester les haricots, qui lui donnaient la nausée. Et dans ses derniers jours, quand il toussait, toussait à fendre l'âme, il racontait que des mangetout collaient toujours à ses poumons et l'étouffaient.



47. La valeur des années



On l'a dit: Omer ne buvait que le vin de la commune. C'était un expert en piquette. Il le tirait au tonneau, le trimbalait en bonbonne. Emplissait des bouteilles récupérées à droite, à gauche (bien rincées, celles de Javel faisaient aussi l'affaire), et ne collait un papier dessus que quand il décidait d'en garder quelques-unes au fin fond de sa cave. Derrière le tas de pommes de terre.
Au crayon, il marquait alors: "Récolte 85, vigne du Firmin". "1990, Clos de l'agasse". Ou encore: "89, rosé, Granges-Pourries". Etiquettes vite mangées par l'humidité. L'indication devenait indéchiffrable. Pour celui qui était convié à la dégustation, cela avait peu d'importance: le liquide était imbuvable. Toujours.
Pour Omer, la valeur d'un vin dépendait en effet exclusivement de son ancienneté. Les piquettes qu'il encavait, déjà ronge-boyaux quand on les buvait jeunes, ne supportaient pas l'attente. Elles tournaient en d'étranges mixtures.
Quand il voulait honorer un invité, Omer, en clignant de l'oeil, déclarait qu'il allait ouvrir une de ses meilleures bouteilles. L'annonce impressionnait les innocents... Il sortait alors un flacon poussiéreux, chaussait ses bésicles pour déchiffrer l'inscription. Avec des mines d'archéologue. C'est un 1975! énonçait-il fièrement. Seize ans d'âge! Il m'en reste peu de cette année...
Il reniflait le bouchon, rite sans conséquences, versait le breuvage dans des verres à moutarde. Faisait admirer la couleur dans la lumière: Regardez-moi ça! Du rubis!
Puis il humait, tâtait du bout de la langue, avalait une petite gorgée. Pas mal... jugeait-il modestement. S'envoyait une plus large lampée, enhardissait son jugement: C'est le Bon Dieu en culottes de velours! Goûtez!
Obligée de s'exécuter, la victime n'en mourrait pas. Le plus souvent, le vin n'avait plus aucune saveur, à part un léger goût d'eau moisie. Ou laissait une impression de vinaigre doux, vaguement madérisé.
Omer surveillait les réactions: Il vous plaît hein! La prochaine fois, je vous ferai goûter la récolte 81. Dix ans de cave déjà... Je suis le seul à en avoir encore!
Il remplissait impitoyablement les verres, tout en contant cent anecdotes sur la vendange qui avait fourni ce "nectar". Le vin, pour Omer, c'était avant tout des souvenirs en bouteille. Et des années derrière un bouchon.



48. Omer expédie des fromages de chèvre



Croisant monsieur Brosse, un Parisien qui avait ses habitudes au village depuis vingt ans, et qu'on avait fini par supporter, à la longue, Omer lui avait dit:
- J'ai appris que votre grand fils, celui qui étudie pour faire le fonctionnaire...
- Mon fils fait l'ENA! s'était étranglé M. Brosse.
- ... habitait près de la tour Eiffel. Puisqu'il vient la semaine prochaine, je lui préparerai un colis pour mon ami Rodolphe Chignan. Il doit le connaître. Il a une barbe et parle fort pour s'entendre, vu son oreille paresseuse...
M. Brosse avait eu un petit sourire de Parisien, répondant qu'il ne manquerait pas de faire la commission. Et la première chose qu'il conta à son fiston, à la descente du car départemental, fut l'incroyable demande d'Omer:
- Figure-toi que ce brave homme veut te faire porter un bocal d'olives, deux kilos de miel, et une dizaine de fromages de chèvre à un de ses amis... Il dit qu'il n'a pas son adresse, mais que puisque vous habitez tous deux Paris, vous devez vous connaître! C'est du Pagnol! L'innocent s'imagine qu'une ville de six millions d'habitants est pareille à son village! Hilarant, n'est-ce pas?
L'histoire fut colportée à grands éclats de rire parmi la colonie des estivants. Ce qui n'empêcha pas Omer d'arriver, la veille du départ du fils, avec un volumineux paquet:
- Voilà, dit-il à l'intéressé. Tu as bien du mérite pour accepter de me rendre ce service. Rodolphe Chignan va être rudement content. Et comment va ton école?
Le père pouffait comme un Parisien. Mais le fils sursauta:
- Rodolphe Chignan? Un barbu à moitié sourd? Mais c'est mon voisin de palier! Quelle extraordinaire coïncidence!
Plus tard, Omer commentait au bistrot:
- Quels naïfs ces Parisiens! On les roule dans la farine comme des goujons. Bien sûr que j'avais pris mes renseignements. Et je n'allais pas payer la poste pour expédier des fromages qui puent, alors qu'il y a des jobards qui vous font ça gratuitement!



49. Le triomphe d'Omer a les yeux crevés



Quand la bête brune boula sous le coup de feu, Omer connut un instant d'intense jubilation: c'était bien le plus gros sanglier qu'il eût jamais tué! Cent kilos, au moins. Et c'était lui, Omer, qui l'avait eu. A la barbe de tous les chasseurs de la commune, qui en rêvaient depuis des mois.
Emporté par son élan, le cochon foudroyé avait roulé jusqu'au fond d'un ravin. Ecrasant sous son poids chênes kermès et buissons de genêts. Enorme! Omer contempla le solitaire qu'il avait guetté des jours et des jours, attendu à tous les postes connus, espéré tant de matins glacés. Puis se demanda ce qu'il allait en faire... Il était à quatre heures de marche du village.
Impossible de bouger cette masse de chair. En terrain plat, il aurait pu traîner la dépouille, et peut-être la suspendre à un arbre avec sa large ceinture de cuir. Afin de la soustraire à la vermine, aux fourmis, au renard... Omer couvrit le sanglier de branchages, pour le cacher à l'oeil de la buse, et se résigna à aller chercher de l'aide. La nuit tombait.
Au village, ce fut le triomphe. Il fut fêté comme un héros. Le dépit des autres faisait son miel: ce sanglier exceptionnel avait échappé à plus de vingt battues, et lui, Omer, se redisait-il tout fiérot, avait réussi à l'abattre seul!
Le lendemain, il plut à verse tout le jour. Des torrents d'eau dévalaient de la montagne, les chemins étaient impraticables. Omer rageait. Quarante-huit heures après, enfin, il put partir avec le père Séraphin, sa mule et le traîneau. Des poulies et des cordes.
Arrivé à proximité du lieu de son exploit, Omer vit s'envoler une dizaine d'oiseaux noirs. Mauvais signe. Hélas! C'était bien ce qu'il redoutait: le sanglier était entièrement dévoré. Toute une famille de renards avait dû festoyer. Et les rapaces, les corneilles, les rats. Des lambeaux de chair étaient éparpillés dans la boue. Imbibée de sang. Les vers grouillaient dans des restes de viscères. L'abomination. Il ne restait rien de consommable.
C'était le plus gros sanglier qu'Omer eût jamais tué. Il n'en ramena que la tête. Sans les yeux. Les corbeaux les avaient crevés.



50. Le roi des épouvantails



Vous avez besoin d'un épouvantail? Courez chez Omer. C'est le spécialiste. Lui seul saura vous confectionner un pantin de bois et de paille que les corneilles prendront au sérieux. Oh bien sûr, elles verront que ce n'est qu'un trompe-serin. Trois chiffons sur une croix, tenus par du raphia. Mais elles se méfieront quand même. Omer sait mêler quelque maléfice à ses arrangements. Ses épouvantails ont le mauvais oeil.
Pour commencer, il n'installe pas ses créations n'importe où. N'importe comment. Omer fait du sur-mesure. Tient compte de la culture à protéger, de l'orientation, de la grandeur de la parcelle. De la force du vent.
Le terrain est-il au sud, au nord, le soleil l'éclaire-t-il de biais au lever, ou de face au couchant? Il faut que les rayons fassent briller les débris de miroir qu'Omer accroche sur les oripeaux de ses personnages. D'où vient le mistral? Les ailettes découpées dans des boîtes de conserve, fixées au bout des moignons, doivent tourbillonner en produisant un bruit de crécelle.
Omer aime le rouge, bien visible le jour, le blanc, fantomatique la nuit, le noir, inquiétant dans les brouillards d'automne.
Le diagnostic établi, Omer dresse une liste de fournitures. Vous demande un chapeau, un gilet, une jupe ou un pyjama. Fouille votre grange, votre grenier. Rafle les vieux ressorts de sommier, les phares d'une carcasse de moto, les cordons de perles d'un rideau déglingué.
Une fois planté, l'épouvantail devient l'événement de la semaine au village: Tu as vu la dernière horreur d'Omer au coin du champ d'Albert? Ma jument a failli s'emballer! Les corbeaux volent le ventre en l'air pour ne pas la voir. Moi-même, je n'ai pas traîné. Je sentais le regard de cette chose vissé dans mes épaules...
Omer ne se fait pas payer: c'est dire que cela vous coûte cher en tournées de pastis, en prêts d'outils et en services rendus. Qu'importe: vos terres sont protégées par une véritable oeuvre d'art. L'été, les estivants vont d'un champ à l'autre pour les photographier. On devrait flécher le parcours, a déjà proposé le maire.




51. Un fantôme insulte le garde champêtre




La maison du bossu est hantée! Ce fut Omer qui le premier en fit courir le bruit. Cela n'étonna personne. Depuis la mort de son propriétaire, la bicoque tombait en ruines. Les serpents, les rats, un hibou l'habitaient. La nuit, tout ce monde menait sarabande.
«J'ai entendu des gémissements. Et puis des rires de fou... des bruits de chaînes», chuchotait Omer au bistrot.
A force, d'autres témoignages s'ajoutèrent. «C'est vrai, jura Fifine la vieille fille. Des yeux lubriques m'ont fixé dans l'obscurité... J'ai couru jusque chez moi! ». Gaston le berger observa: «Mon troupeau s'écarte de l'endroit, les chiens aboient à distance... Quelque chose leur fait peur.»
L'affaire commença à inquiéter. Il faut réagir, déclara courageusement Omer. Quelqu'un doit aller voir ce qui se passe là-bas... Je propose qu'on envoie le garde champêtre.
L'ennemi intime d'Omer sursauta quand il connut la proposition. Un face à face avec le diable? La nuit? Tout seul! Hélas! Il représentait le droit et l'autorité. On ne lui laissa pas le choix.
Un soir, après quelques verres de gnole, ce fonctionnaire sacrifié fut poussé dans la nuit. Omer avait interdit qu'il prenne son fusil: ce n'était pas réglementaire. De toutes façons, les fantômes ne craignent pas les balles, avait-il rappelé en souhaitant le bonsoir à la compagnie. Et bonne chance au «héros».
Le garde champêtre revint une heure plus tard, roulant des yeux terrorisés. Il lui fallut deux fois plus de gnole qu'au départ, avant qu'il ne soit en état de parler.
« C'est le spectre du bossu! parvint-il enfin à dire. Je l'ai vu danser... Il a une boule rouge à la place de la tête. Avec des yeux de feu. Il m'a crié: Canaille, fripouille, pisse-vinaigre, je t'attends en enfer! Puis il a ri! A vous glacer le sang.»
Avoir aussi peur d'une courge évidée qui se balance au bout d'une ficelle, et de deux bougies, c'est quand même pas croyable, avoua Omer quand le garde champêtre fut guéri de sa jaunisse. Cet homme mérite-t-il vraiment notre confiance?



52. Le procès d'une corneille



Ce jour-là, Omer était seul sous le tilleul, assis dans son fauteuil rouge. Depuis des heures. Intrigués, les gosses s'approchèrent.
- Chut! gesticula Omer. Pas de bruit! J'attends la fin du procès...
A voix basse, il expliqua aux minots qu'une assemblée de corneilles, réunie sur un noyer à cent mètres de là, était en train de juger une des leurs.
- Vous voyez, c'est celle qui est à l'écart, sur la plus basse branche. Les autres, qui croassent sans arrêt au sommet de l'arbre, ce sont les juges. Elles débattent du sort de l'accusée. Quel est son crime? A mon avis, elle appartient à une tribu rivale. Ou elle a manqué de respect à son maître d'école... Saviez-vous que les corneilles allaient en classe comme vous, durant plusieurs années? Peut-être aussi qu'elle s'est laissée apprivoisée par l'homme et qu'elle porte notre odeur: cela suffit pour que les siens la rejettent.
- Ca va durer longtemps?
- Avant le coucher du soleil le verdict sera rendu.
Les gosses s'assirent autour du fauteuil rouge et patientèrent. En s'appliquant à parler à voix basse, ce qui montre bien l'extraordinaire de la situation. Tout à coup, les bruyantes plaidoiries cessèrent dans le noyer. Une grande corneille ouvrit ses ailes, les referma, et balançant son corps en de profondes révérences, croassa gravement devant la troupe attentive.
- C'est la mort, annonça Omer.
La corneille condamnée restait immobile, tassée sur sa branche. Au bout de quelques minutes, elle s'envola sans hâte, d'un vol lourd, droit devant elle. Ses juges en noir la suivirent. Puis commencèrent à l'attaquer. L'une après l'autre, les corneilles-bourreaux piquaient sur la victime, la poignardant de coups de bec précis. Vingt, trente fois. Les plumes volaient. La corneille continuait à aller tout droit, sans se défendre. Elle tomba soudain comme une pierre.
- Il y a des hommes qui rendent la justice de la même façon, commenta Omer. Mes enfants, ne l'oubliez pas: vous n'êtes pas des corneilles...



53. Omer et le secret des centenaires



Que ceux qui préfèrent mourir jeunes arrêtent ici leur lecture. Adieu.
Aux autres, je vais révéler le secret d'Omer: l'"Elixir des centenaires". Omer affirmait à tout un chacun qu'il vivrait jusqu'à cent ans. Au moins. Pour étayer cette certitude, il énumérait les performances de ses aïeux:
"Mon arrière-grand-père Edoir-des-Narettes a vécu jusqu'à 94 ans. Son mulet l'a tué d'une ruade. Mon grand-père Narcisse a été retrouvé gelé au bord du canal. Il avait bu un coup de trop et s'était perdu au retour de la foire. Il avait 91 ans. Mon père est mort à 95 ans. On se demande encore pourquoi...
"L'histoire de son frère, mon oncle Albert-Belle-Peau, est encore plus édifiante. Il devait son surnom à son teint extraordinaire: on ne lui connut jamais de rides. Il mourut à 92 ans, d'un coup de colère. Plusieurs années après, il fallut rouvrir son cercueil pour faire un peu de place au cimetière. Le fossoyeur n'en revint pas: Albert avait gardé son visage intact, ses cheveux noirs, son air tranquille. Alors que ces compagnons de rangée n'étaient plus qu'ossements.
" Savez-vous pourquoi? Dans ma famille, on se transmet de génération en génération le secret d'un élixir de longue vie. Nous en buvons tous régulièrement et le docteur ne nous connaît pas. Vous donnez la recette? Vous n'y pensez pas!"
Je ne sais par quel piège ou marchandage après boire, on parvint un jour à faire avouer Omer. Ce qui est sûr, c'est que sa jouvence fut recopiée et circula sous le manteau. La voici:
"Aloès, agaric blanc, gentiane et safran, en parts égales finement. De la thériaque mêlée à l'angélique abondamment. Dans la gnole huit jours durant, fermentera obscurément. Puis tu dégusteras doucement, pour vivre cent ans."
Tout cela est simple, et je m'étonne que nous ne soyions pas tous centenaires. Il y a bien sûr la question de la thériaque, qui est comme chacun sait, un électuaire opiacé. Composé d'une centaine d'éléments végétaux, animaux, et chimiques. Autrefois, les apothicaires en fournissaient. Mais aujourd'hui?
- C'est bien fait! ricanait Omer. Voleurs de secrets!



54. Les pauvres ont des chaussettes brunes



Toute sa vie, été comme hiver, Omer porta d'épaisses chaussettes de laine blanches et noires. Plus noires que blanches. Qu'il tricotait lui-même.
Cette habitude lui était restée du temps qu'il était berger. Dans son troupeau, selon l'habitude de Haute-Provence, il y avait toujours un dixième de brebis à toison brune. Par rapport à leurs consœurs à laine blanche, celles-ci avaient plus d'un défaut. La nuit par exemple, on ne les distinguait pas dans les collines et Omer ne regagnait la bergerie que peu avant minuit. C'est pourquoi il attachait de préférence ses sonnailles au cou des brunes.
La laine des brebis «noires» n'avait aucune valeur marchande. Les teintures ne prenaient pas sur elle. A l'époque où l'on filait encore dans les campagnes, on ne se donnait de peine que pour la belle blanche, propre à toutes les transformations. Même si un pull en laine brune, tricoté avec de grosses aiguilles, ample et lourd, rafistolé dix fois, durait toute une vie.
La toison des brunes servait pourtant à un usage traditionnel: la confection des chaussettes. On mélangeait alors un fil blanc à un fil noir, c'était moins salissant. La proportion du noir et du blanc variait selon les individus et les familles.
Chez les uns, les plus riches, le blanc dominait. On avait des domestiques pour laver, des paires de réserve, on pouvait en changer souvent. Le brun n'était alors incrusté qu'en filet, en bordure, en jacquard. Chez les autres, le brun prenait toute la place.
Le jour des lessives et des étendages, on pouvait ainsi classer le village en catégories selon la couleur des chaussettes flottant au vent.
Omer était nettement dans le camp des bruns: il avait été toujours sale et heureux. Les rieurs l'apostrophaient: «Dis-donc, à voir l'état de tes bas, tu dois avoir beaucoup de brunes dans ton troupeau!»
Plaisanterie que les étrangers, ceux des villes, ne comprenaient pas.



55. Omer cache un mort



On ne peut en parler qu'à mots couverts. Et même recouverts sous deux mètres de terre, comme le "trésor" d'Omer.
C'est en creusant sous sa maison, pour agrandir la cave, qu'Omer était tombé sur une tombe romaine. Sa pioche avait tinté sur une lauze. Nom de pas Dieu!
Après avoir dégagé et fait glisser la longue dalle de pierre, des ossements étaient apparus. Puis les débris d'une amphore, avec des anses fines comme des jambes de gamine. Des lampes à huile. Une épée, dont il ne resta que la poignée, la lame mangée par la rouille s'émiettant aussitôt. Quelques pièces de monnaie (de l'époque de Constantin, apprit-on plus tard).
Omer arrêta ses travaux et remonta au grand jour. Pour réfléchir. Une tombe "historique": quelle tuile! Il voyait des experts rappliquer de partout, le chasser de sa maison, continuer à creuser en tous sens, comme des campagnols qui auraient trop bouffé de graines de coquelicot. Un cirque qui pouvait durer des mois. Sans parler d'une éventuelle expropriation...
Epouvanté par cette idée, Omer se dit qu'il n'avait plus qu'une chose à faire: renoncer à prolonger sa cave, tout reboucher, et surtout n'en souffler mot à personne. Car en plus, il faut bien vous le dire maintenant, le squelette de l'escogriffe romain qui reposait sous sa maison n'avait pas de tête! Où était ce crâne, nom de pas Dieu, où était-il!
Omer fit comme il le pensait, gardant les pièces de monnaie, une anse de l'amphore, et la poignée de l'épée. Au fil des ans, l'histoire commença néanmoins à se répandre dans le village: "Omer, il paraît que tu as trouvé un trésor sous ta maison? Et ta cave, tu ne la creuses plus?"
Fatalement, le garde champêtre vint un jour l'interroger:
" En tant qu'officier municipal et assermenté, je te prie de me signaler si, par hasard, il n'y aurait pas un cadavre sans tête sous ton tas de pommes de terre..."
Blanc de frayeur, Omer se força à rire, fit visiter les lieux. Ce fut suffisant pour éloigner les soupçons du fonctionnaire, au cerveau réglementaire. Soulagé, Omer se laissa aller à trinquer avec son inquisiteur.
"Il faut me comprendre, dit-il plus tard au bistrot pour excuser ce geste insensé. Mais sur le coup, j'avais vraiment perdu la tête...."



56. La chasse à l’ULM



Cette fois, c'était grave. Les gendarmes se déplacèrent. On vit leur 4L attaquer les lacets qui menaient au village, ce qui donna le temps à tout le monde de s'enfermer chez soi. L’Endormi, qui dormait comme d’habitude en plein travers de la route, fut donc seul à les accueillir. Après avoir toisé les forces de l'ordre d'un air las, il consentit à se déplacer péniblement. Encore des emmerdeurs, disait clairement son regard.
Les gendarmes finirent par trouver le maire.
- Excusez-nous de vous déranger à l'heure de la sieste, Monsieur Barbillanne... C'est rapport à la plainte d'un Parisien. Qui affirme qu'en survolant votre commune, le jour de l'Ascension à 16h 29, à bord de son aéronef ultra-léger à moteur, il a essuyé un coup de fusil de chasse. Il aurait aperçu son agresseur, gesticulant paraît-il, mais ne peut en donner un signalement fiable. Il ajoute, péremptoirement, qu'on ne peut le confondre avec un canard sauvage. Ce que nous avons vérifié.
- Comment... Vous voulez insinuer, brigadier, qu'un de mes administrés aurait fusillé un Ulme? Avez-vous des preuves?
- Nous avons examiné l'engin du plaignant et constaté une dizaine de trous dans la toile d'une des ailes. Sans pouvoir certifier que ce dommage soit dû à des plombs, mais...
- Et vous croyez sur parole ce fada volant? Cet épouvantail pétaradant? Cet énergumène qui vient effrayer nos brebis et fait tourner le lait de nos vaches? Brigadier, ici nous sommes croyants: on ne descend personne le jour de l'Ascension. Et puis votre Parigot était-il en règle? Volait-il à l'altitude réglementaire? Respectait-il mon arrêté municipal qui interdit le survol des zones de détente des chasseurs? Nous pouvons trouver des témoins vous savez... S'il ne retire pas sa plainte, en tant que maire, agent, et officier civil, charges que j'ai l'honneur de cumuler, je colle une douzaine de contraventions à votre zouave...
- Ne vous fâchez pas Monsieur Barbillanne! Nous, si on vient, c'est pour le rapport. Et nous en profiterons pour acheter un peu de miel et d'huile de noix. Ne vous en faites pas: on fera comprendre au plaignant qu'il a intérêt à ne pas insister.
Dès que les gendarmes eurent le dos tourné, le maire courut vers la maison d'Omer:
- C'est la dernière fois que je te le dis! Si tu continues à canarder tous les Ulmes qui passent sur le village, la prochaine fois Omer, la prochaine fois... Je ne sais pas ce que je ferai!



57. Le village d'en face



De l'autre côté de la vallée, par-delà les méandres de la rivière, dans le flou d'autres collines, il y avait un village. La journée, on en distinguait à peine le clocher. Quelques fumées. Le soir, des points de lumière.
Tout cela était bien loin. Depuis toujours, Omer voyait ce village de sa fenêtre, entre la vigne et la glycine. Ici, personne n'y était jamais allé, on en connaissait à peine le nom. Trente kilomètres à vol d'oiseau peut-être, mais plus de cent par routes et chemins. Le bout du monde.
Souvent, en apercevant ces traces de vie, ces fumées, ces champs verts ou blonds grands comme des confettis, Omer soupirait: "Comme on doit être bien là-bas! Un jour, il faudra que je fasse le voyage."
Il mit cinquante ans à mûrir son projet. Puis le temps commença à passer de plus en plus vite. Omer se dit que la chose devenait urgente. Il descendit dans la vallée avec la camionnette du boulanger, changea trois fois d'autocar, arriva enfin dans le village d'en face.
Semblable au sien. Avec les mêmes maisons, les mêmes paysages. La même place minuscule, ses platanes, son bistrot. Les gens qu'il croisait ressemblaient aux gens qu'il fréquentait chaque jour. Sans ses lunettes, il aurait pu se tromper et saluer ici la Mariette, là le Gaston... Il tourna en rond, un peu déçu. But un pastis, échangea trois mots avec les habitués. Qui s'étonnèrent:
- Ah, vous êtes du village d'en face... C'est bizarre, personne ici n'a jamais été chez vous. Les jambes vont moins vite que les yeux: quel sacré détour on doit faire! On devine juste votre clocher. A la Saint-Jean, on voit luire votre feu. Distinguez-vous le nôtre? Vous êtes bien exposés: en plein midi. On vous envie parfois. Nos champs auraient besoin d'un peu plus de chaleur au printemps.
Omer, serrant les mains pour partir, répondait fiérot:
- Ça, vous pouvez le dire. Le soleil nous fait des préférences. Je m'en rends mieux compte d'ici. Vous savez, on est vraiment bien là-bas... En face.



58. Adieu Iphigénie!





Cela faisait maintenant cinq étés qu'Iphigénie venait passer le mois d'août chez Omer. A chaque fois, c'était le paradis retrouvé. La petite Noire sortait de sa jungle banlieusarde, de sa crasseuse cité d'HLM barbouillée de tags, pour grimper jusqu'au bonheur tranquille du village: les champs, si blonds, la rivière, la paix des longs soirs sentant le foin.
Les fruits d'Afrique mûrissent vite. Elle avait quinze ans, il y a longtemps qu'elle était femme. Cette année-là, ce fut quand même un choc quand elle descendit du car. La métamorphose était achevée. Ces jambes, ces seins, ce dos... Ce bout de short provoquant. Nom de pas Dieu! murmura Omer atterré.
Il savait que les filles d'ici, malgré quelques jolis minois, ne faisaient pas le poids face à cette splendide Noire. En quelques jours, ses craintes se confirmèrent. Tous les mâles du village la bouffaient des yeux. Envie, virant vite à la haine. Toutes les femmes souffraient. Jalousie, mêlée de peur. Nom de pas Dieu! répétait Omer.
Iphigénie faisait donc des dégâts dans les têtes et les cœurs. Elle se servait de son nouveau pouvoir avec l'arrogance de son âge. Ce n'était pas le diable, ce n'était pas une sainte. Elle aurait saccagé des vies pour s'amuser. Pour se venger d'années d'humiliation.
Le village devint fou. Coups de tonnerre dans des couples paisibles. Bagarres entre amis de toujours. Fiançailles rompues. Les hommes tournaient autour d’elle comme des animaux en rut. Iphigénie riait. Continuant à remuer par jeu cette fourmilière d'appétits soudain mis au jour. Nom de pas Dieu! s'effrayait Omer.
Bientôt, il reçut des appels anonymes: On va faire la peau à ta négresse! Renvoie-la tortiller du cul chez les singes! Inquiet, le maire lui parla de "paix publique". Puis ce fut cette corneille, clouée sur ses volets. Dégoulinante de sang. Nom de pas Dieu!
Omer remit Iphigénie dans le car de Marseille. Il avait espéré sa révolte. Qu'elle traite les gens du village de ploucs, de racistes, de vicieux. Comme elle le faisait ces derniers temps. Ils se seraient engueulés, tout aurait été plus facile.
Mais non. Elle partit dans une robe sage, soudain redevenue petite fille. Le sourire timide. Comme avant.
Ils se mentirent en se quittant: à l'année prochaine... Il suivit longtemps des yeux sa frimousse noire penchée à la fenêtre. En essuyant ses larmes avec ses poings. Nom de pas Dieu! Nom de pas Dieu!



59. La fin scandaleuse de Fifine



Fifine la vieille fille, tête de figue séche, yeux de souris, bouche sans lèvres, sans sourire, raide de mille refus, ancienne maîtresse d'école, punaise de sacristie, voix aigre à la chorale, vêtue de gris, de violet fané, parfumé au biscuit à la cannelle, jacassant comme pie, la langue méchante, retournant pour vous, pour vous tout seul, au bord du chemin, la pierre des vilenies de la commune, vous détaillant les turpitudes grouillant comme vermine, Fifine gardienne de la morale et sans doute auteur de lettres anonymes aux cocus, croyant s'approcher du paradis à coups de renoncements, de jeûnes, de tricots pour les pauvres, dénonçant les voleurs de pommes ou les amoureux sortant des granges avec de la paille dans le dos, Fifine la prude eut une fin extravagante.
Tout commença par un goûter chez Monsieur le curé. Une fois l'an, Pan-Pan réunissait par obligation les bonnes âmes qui fleurissaient l'autel, balayaient l'église, reprisaient surplis et chasubles. Thé, gâteaux secs, bonnes paroles. Puis un doigt de bénédictine. Deux, peut-être.
Au retour, Fifine se laissa entraîner chez la veuve Cattignole: elle se réjouissait de lui conter par le menu tous les ragots qu'elle n'avait pu déballer devant le curé. Le diable était là.
Je veux dire Omer. Il renifla l'odeur de la bénédictine, ce qui lui donna l'idée de sortir le bocal de cerises à l'eau-de-vice. "Juste une!", accepta Fifine. Elle en avala quinze, sans y penser, tout à ses médisances. Eut ensuite de la peine à se lever: "Je me sens les jambes un peu lourdes... Je crois bien, cher Omer, qu'un orage se prépare."
"Cher Omer"! Cette fois c'était sûr, la vieille bique était pompette. Il fallait profiter de cette occasion unique pour lui rabattre le caquet. Sur le chemin de sa maison, Fifine ne put ainsi refuser de goûter au vin nouveau d'Honoré, plus loin à la carthagène de Séraphin, et Albert se serait fâché si elle avait refusé son vin de noix... La pauvre ne pouvait se douter qu'Omer la précédait, annonçant à la cantonade: " Fifine est échauffée comme une grive en vigne! Il faut la finir. Si le dégel arrive jusqu'au coeur, tout pète!"
Passant devant le bistrot, où une quinzaine de ses anciens élèves faisaient la fête (tous des chenapans...), Fifine, déjà moins lucide, fut happée, emportée. On la fit boire tant et plus. Ils la tenaient, cette vipère.
Elle commença à se laisser aller dans des rires trop forts, puis de grandes chaleurs lui montèrent au cerveau, l'étourdirent. Les gars se jetaient des coups d'oeil, remplissaient son verre... Fifine riait, riait, jusqu'à l'hystérie. Et tout à coup cinquante ans d'inhibitions, de barrières mentales et de défenses farouches s'écroulèrent en elle.
Une autre Fifine se leva, des grossièretés plein la bouche. Lançées à tue-tête. Une Fifine reprenant en choeur des chansons gaillardes. Grimpée sur la table. Complètement soûle. Qui l'aurait cru! Encore un verre Fifine! Elle s'essaya au french-cancan, de façon grotesque. dévoilant des cuisses maigres, des jupons douteux. C'était donc aussi ça, la vraie Fifine? Cette furie débraillée qui laissait traîner sa main sur la cuisse des gars et se frottait sur leurs genoux? Nom de pas Dieu, qui l'aurait cru!
Cette déchéance inespérée gonflait de mauvaise joie ceux qu'elle calomniait à longueur d'année. Et qui continuaient à la faire boire, encore et encore... Pour qu'elle touche le fond du fond. Jusqu'à la curée. Pour que le scandale d'une telle soirée la marque au fer rouge et qu'elle ne puisse plus jamais faire de mal.
On dut la ramener chez elle comme un paquet, la jeter sur son lit. Le lendemain, ceux qui l'avaient soûlée étaient mal à l'aise: c'est vrai, ils étaient peut-être allés trop loin... Omer n'était pas fier non plus, et accepta tête basse l'énergique sermon de Pan-Pan. Sans oser lui rétorquer que lui aussi, avec sa bénédictine...
Fifine se terra désormais et la honte la tua en quelques semaines. Des années après, quand on évoquait son nom, c'est toujours de cette mémorable soûlerie que l'on se souvenait. Toute une existence de refoulements, de péchés véniels comptés et recomptés, de fausses vertus, n'avait servi à rien: à jamais, ce fut Fifine-la-Cuite.



60. La messe de 10 h 03



C'était une idée fixe du maire: afin que les générations futures se souviennent de lui, une réalisation grandiose devait marquer son passage à la plus haute charge municipale. Après des années d'étude, il fit donc installer une gigantesque horloge au fronton de l'église.
Ses dimensions prétentieuses aurait dû la faire voir de loin. Mais vous connaissez le pays: bâtie sur un promontoire, l'église tourne le dos à toutes les maisons, et du village, personne ne peut lire l'heure. Sauf peut-être les habitants du village d'en face, de l'autre côté de la vallée, à condition qu'ils aient une longue-vue pour observer les étoiles.
Un détail, avait dit le maire. Il suffit d'écouter...
Il est vrai qu'un dispositif reliait l'horloge au clocher et que les heures étaient sonnées. Ce mécanisme causa d'ailleurs bien du souci à ses débuts. Tout d'abord, il fallut un bon mois pour l'empêcher de carillonner toute la nuit. A minuit, douze coups sonores, qui faisaient hurler les chiens à la mort, c'est dur à supporter pour des paysans fatigués. Heureusement, le cadran étant invisible, on ne pouvait lui tirer dessus à coups de fusil de chasse. Ensuite, autres réglages mal compris, la sonnerie se déclenchait toutes les vingt minutes, régulièrement, ce qui est compliqué pour calculer l'heure exacte, ou ne s'arrêtait plus. Et l'on croyait au glas ou au tocsin.
Il faut dire que le mode d'emploi était en japonais, en allemand et en norvégien, langues que Basile l'électricien maîtrisait mal. Il dompta la mécanique néanmoins. Désormais, les heures sonnaient à l'heure juste, répétée deux minutes plus tard. Les 24 coups de midi étaient ainsi du miel pour les oreilles du maire, certain d'avoir sa gloire assurée jusqu'à la fin du temps mesurable.
Le curé Pan-Pan, qui s'était opposé en vain à l'installation du cadran géant ("Gardez-vous du péché d'orgueil, mon fils"), obtenant seulement que les chiffres soient romains, dut s'adapter à la tyrannie du carillon. Le premier dimanche après l'avent et après l'horloge, il attaquait la grand-messe de 10 h quand les dix coups commencèrent à s'égrener. Assourdissants à l'intérieur de l'église. Agacé, il suspendit l'office, attendant avec tous ses paroissiens que le vacarme cesse. Mais à peine avait-il repris, que la deuxième sonnerie, celle de 10h 02, couvrit à nouveau les chants de la chorale.
"Gardez-vous du péché de la colère!", répliqua le maire à Pan-Pan quand celui-ci, escorté d'Omer qui affirmait que les vibrations du bronze gênaient la sieste de l'Endormi et décourageait ses poules de pondre (J'exige une indemnité! criait-il), vint se plaindre du préjudice. Allons Monsieur le curé, on va bien trouver un arrangement avec Dieu...
Et c'est ainsi que, désormais, la grand-messe eut lieu tous les dimanches à 10 h 03.



61. Au bout de la garantie



Omer ne jetait rien, réparait tout. Il avait connu la guerre, les privations, le rationnement. Qui l'avaient marqué à jamais. La civilisation des déchets, de l'abondance, du gaspillage, venue ensuite, n'avait pu effacer cette douloureuse crainte: et si la pénurie revenait?
Peu à peu, cette manie de garder, de récupérer, avait tourné à l'obsession. Omer vivait dans le bricolage perpétuel. Dans son univers, effectivement, rien ne se perdait, tout se transformait.
Ceux qui avaient l'honneur de pénètrer dans ses domaines, allaient d'étonnements en perplexités. En passant par l'effarement.
Son matériel de cuisine, par exemple, valait le détour. Casseroles cent fois rétamées, poêles aux queues rallongées, taillées dans des branches d'olivier, fourchettes et cuillers ressoudées, plats recollés... Chaque objet était rafistolé. "C'est plus solide qu'avant!" se félicitait-il chaque fois, après avoir réparé un accident ménager d'un bout de ficelle ou de fil de fer.
Pour avoir sous la main une solution à tout problème, Omer avait entassé un formidable bric-à-brac où il puisait ses pièces de rechange. De son imagination déconcertante sortait d'étonnants engins. Dans le jardin, un jet d'eau alimenté par une ancienne machine à laver... Accroché au tilleul, un ventilateur sous une lessiveuse retournée, mû par un moteur de tondeuse à gazon... Dans les arbres, un peu partout, des phares de 2 CV.
Puis un jour vint, où Omer cessa d'entasser et de mettre de côté des machines détraquées “au cas où....”. Il fit même de l'ordre. Commença à débarasser cave et grenier. Remplit ses poubelles de ferraille et de trésors rouillés. Les gens du village hochaient la tête tristement: Omer range sa maison avant de partir...
Bientôt, il ne fit plus de réserves d'aucune sorte. N'acheta plus, comme naguère, des pièces de remplacement à double. Cela devient inutile, disait-il. Tout ce que j'achète est garanti au moins une année... Moi pas!



62. Omer veut bâtir son tombeau



Ainsi, les années s'entassaient sur les épaules d'Omer. Qui pliait toujours plus.
- Dis donc, vieux débris, ne serait-il pas temps de bâtir ton tombeau?
Après s'être posé la question, Omer se donna la réponse: rien ne pressait. A 80 ans, bon pied, bon œil et bon gosier, il pensait voir refleurir encore plusieurs fois les amandiers.
Cette réflexion sur l'avenir de sa carcasse ne lui était pourtant pas venue par hasard. Avec le club du 3e âge, il avait visité le palais du facteur Cheval, dans la Drôme. Quel type ce facteur! Omer avait retenu par coeur des phrases du guide:
”Vous avez devant vous un rêve de pierre: vingt-cinq mètres de long, douze de large, quatorze de haut. 10.000 journées de travail, 93.000 heures, 33 ans d'épreuves. Le tout construit avec une truelle et une brouette!”
L'édifice, inhabitable pour les vivants, semblait confortable pour un mort. Omer se dit que Cheval lui montrait la voie. Il verrait un peu moins grand, c'est tout. 33 ans de travaux, il ne pouvait plus raisonnablement y songer..
Sa résolution prise, Omer commença par arriver chaque soir au bistrot avec des plans et des dessins sous le bras. Grandioses.
Il eut sa période égyptienne, avec une pyramide de béton recouverte de vignes en espalier. Aztèque, avec des gradins de terre sur lesquels poussaient des tomates et des fraises. Babylonienne, avec des ziggourats entourées de rigoles dégringolant en cascade. Grecque, avec une sorte de temple soutenue par des colonnes autour desquelles s'enroulaient des haricots grimpants. Omer, en bon paysan, voulait que la surface prise pas son tombeau ne soit pas perdue pour la culture. Déjà que mes héritiers font la gueule! jubilait-il.
Le village s'extasiait. S'instruisait. Le maître d'école demanda aux enfants de faire des recherches sur les ziggourats et la Tour de Babel. Enchaîna sur l'histoire de la Mésopotamie, qui n'était pas au programme. Ce qui explique que toute une volée d'anciens élèves, datant de cette période exaltante, aient aujourd'hui quelques lumières sur les dynasties d'Our, du troisième millénaire avant J-C, et ignorent tout de Charlemagne.
Par la faute d'Omer. Qui un jour arriva enfin avec un projet définitif.



63. Ce sera du néo-Cheval



Tout le monde fut surpris: après avoir cherché des modèles dans l'antiquité, Omer se décida à construire son tombeau dans un style nouveau.
Si nouveau, qu'on eut de la peine à le caractériser. Un connaisseur aurait pu avancer, avec précaution, qu'il s'agissait d'un coc ktail assez hardi des influences de Louis II de Bavière et de l'Espagnol Gaudi, brassé dans la luxuriance du modern style. Ou bien d'une choucroute de béton, décoré de chantilly en stuc.
Pour Omer, ce n'était rien d'autre que du néo-Cheval.
Son projet de tombeau ressemblait à une coupe de champagne renversée. Sous la coupe se trouvait le caveau, abrité par une voûte de béton "résistant aux bombes atomiques et assimilées". Autour du long pied se dressant vers le ciel, s'enroulait une treille de raisins muscats. Dans la vasque supérieure, décorée de gargouilles souriantes, les oiseaux pourraient boire. Le tout était décoré de moulures, d'entrelacs de ciment et de nouilles de pierre.
Sitôt dévoilé, ce projet grandiose divisa le village. Il y eut les "pro" et les "anti" Omer. Toute une campagne municipale se déroula avec cette dispute pour toile de fond. Pour une fois, finies les querelles ordinaires d'adduction d'eau, de chemins à goudronner, et de levée des ordures. On se battait au nom de l'art et du tombeau-champagne.
Ce furent les supporters d'Omer qui l'emportèrent.
Il se mit donc au travail. Commença par arracher quelques rangées de vigne, sur un coteau plein sud, là où il y avait la meilleure vue (fallait voir la jaunisse des héritiers!). Puis entreprit des fondations gigantesques. Ça ressembla tout d'abord à une piscine, à un blockhaus, enfin au mausolée d'une armée défunte.
La moitié du village criait au génie, l'autre crevait de rage. Pour avoir vu grand, Omer avait vu grand! On sentait qu'il se lançait dans l'oeuvre de sa vie et allait laisser son empreinte.
Énorme.



64. Le Dali de la truelle



Au fur et à mesure que le tombeau d'Omer sortait de terre (alors qu'une tombe s'y enfonce: l'image est significative), l'effarement grandissait. Il semblait que le constructeur ne suivait pas ses propres plans, et succombait à l’inspiration du moment. Tournoyante comme girouette.
Omer avait la manie de l'ajout. Mille nouvelles idées architecturales le prenaient en chemin. Il avait une soudaine envie d’un escalier ne menant nulle part, la lubie d’un balcon, la folie d’une échauguette. Créait toute une annexe pour profiter d'un mur de soutènement. N’achevait pas une cloison, commençait un pilier, l’abandonnait, mettait des niches partout.
L’ensemble avait un air penché, le fil à plomb n'étant pas son ami. Rien n'était vraiment droit, rien n'était vraiment courbe. Mais c'était solide. Omer n’économisait ni le ciment, ni la ferraille. La bétonneuse tournait sans arrêt.
Quand ce Dali de la truelle laissa entendre qu'il pensait poser un second verre de trois mètres de haut, à l'endroit cette fois, sur son tombeau-coupe de champagne, affirmant sans rire que cela pourrait peut-être servir d’affût pour les chasseurs de grives, ou de mât de cocagne pour la fête votive, l'inquiétude gagna le village.
L'opinion publique est changeante comme vent d'ouest. Bien est fol qui s’y fie. En quelques jours, Omer fut lâché par ses plus ardents défenseurs. Ses adversaires, qui fulminaient depuis des mois, se ruèrent à l'attaque.
On prouva que le permis de construire n'avait pas été accordé dans les normes, qu'il aurait fallu une dérogation, que le plan d'occupation des sols n'avait pas été respecté, etc. Quand on veut tuer son chien, on crie qu'il a la rage. On dénicha les lois qu'il fallait, les lacunes du dossier, les vices de procédure.
Omer fit connaissance avec la traîtrise, les coups bas, la lâcheté. Après d'interminables tracasseries administratives et des crève-cœur à la chaîne, il fut condamné à démolir son gigantesque tombeau de béton à moitié achevé.
Démolir? Jamais! jura Omer.



65. Poursuivi par de mauvais dieux



La période qui suivit fut une des plus noires dans la vie d'Omer: être condamné à démolir son propre tombeau, est-ce que l'Histoire avait retenu pareille tragédie? On touchait là au mythe grec et Omer se sentait dans la peau d'un héros poursuivi par une bande de mauvais dieux.
Ces dieux avaient le visage du facteur, apportant des lettres recommandées, d'un huissier, venu d'on ne sait où faire un constat au pied du tombeau inachevé, d'un avocat, qui lui faisait parvenir une pluie de sommations, et même des gendarmes...
Ce jour-là, Omer eut un coup de sang. Les gendarmes! Venus pour lui, si pointilleux sur les questions d'honneur et de respectabilité. Dont la vie était droite comme une autoroute. Qui n'avait jamais eu à faire à la justice, même pour braconnage! Avant que les hommes en uniforme aient eu le temps de frapper à sa porte, Omer décrocha son fusil de chasse et s'enfuit dans la montagne.
Il y resta tout l'été. Il dormait dans une bergerie abandonnée, descendait se ravitailler une fois par semaine, vivait comme un brigand ou un déserteur. En fait, il était en pleine dépression.
La nuit, il pleurait sans raison en regardant les étoiles. En regardant les lumières du village. En regardant son fusil. L’Endormi lui léchait les mains et ses larmes salées. Il ne savait plus que faire, où aller. Sa situation lui semblait sans issue, ses idées se brouillaient. Il se disait qu'il avait plus de quatre-vingts ans et que ce genre d'histoires étaient faites pour achever les vieux...
Heureusement, Omer avait la résistance des bêtes traquées. Des paysans durs à la peine. Il émergea lentement de son gouffre et un matin, alors que tous les oiseaux de la montagne s'égosillaient pour l'encourager, alors que le soleil lui réchauffait l'âme, alors que L’Endormi le regardait de ses yeux dorés éperdus d'amour, il prit une grande décision.
Le soir même, une formidable explosion secoua le village: Omer avait fait sauter son tombeau à la dynamite!



66. Omer danse sur son tombeau



Chacun se sentit honteux de ce dénouement. Mesquineries, jalousies, dénonciations, lettres anonymes. Saloperies en tout genre. Personne n'était blanc: il aurait fallu défendre Omer, au lieu de le laisser se battre seul contre la paperasse venue d'ailleurs.
Au milieu des décombres, Omer n'était pas triste. Au contraire. Son problème avait volé en éclats. Ce qu'il avait cru si important, pendant ces longs mois de lutte contre les fonctionnaires, les avocats, les juges, lui paraisssait soudain dérisoire. La nuit était prodigieusement calme. Une formidable allégresse montait en lui. Il était lavé de mille rancœurs accumulées. Enfin. S'abîmer la vie par des entêtements pareils! Les étoiles scintillaient, le rossignol chantait: là était l'essentiel.
Omer commença à chanter, assis sur ses ruines. Les classiques de son répertoire: "J'ai deux grands bœufs dans mon étable". "Comme la plume au vent". "Les roses blanches". Et son grand succès, qui troublait encore tant les mémés: “Voulez-vous bien ne plus dormir, on doit rêver à d’autres choses...”
Sa voix puissante de ténor portait loin. Au village, on se regarda avec soulagement. Si on lui apportait une bouteille, proposa quelqu'un? Ceux qui n'avaient pas trop tiré dans le dos d'Omer, trouvèrent l'idée bonne. Il les accueillit sans rancune: Vous amenez à boire? Je vous attendais!
Bientôt ce fut la fête parmi les gravats. Le Firmin avait apporté son accordéon. On dansa. Les ombres gesticulaient, gigantesques sur fond de lune. Profitant de l'occasion, les jeunes se bécotaient dans l'ombre, derrière les blocs de béton déchiquetés. A présent, tout le monde se sentait propre à l'intérieur.
Omer, un peu pompette, faisait le pitre, serrant sur son coeur les veuves à portée de main. A la réflexion, disait-il, un tombeau c'était un souci de riche. J'ai une autre idée. Le moment venu, vous taillerez les planches de mon cercueil dans le bois du "Désespoir des Singes"...



67. La dernière brouette



Omer mit autant d'acharnement à déblayer les ruines de son tombeau, qu'il en avait mis à le construire. L'explosion , avait achevé de ravager la vigne (fallait voir les larmes des héritiers!), et tout le coteau était dévasté.
Pendant des mois et des mois (ça devenait de plus en plus dur à son âge), Omer vérifia que le béton est une matière plus facile à fabriquer qu'à détruire. Pendant des mois et des mois il descella des blocs, scia de la ferraille, fit tomber des restes de murs.
Poussant sa brouette, il fit mille voyages, charriant des tonnes de gravats. Seul, refusant toute aide. S'arrêtant de plus en plus souvent, pour s'essuyer le front ou se tenir les reins...
Omer traînait sa fatigue, mais son honneur, désormais, était d'effacer toute trace de son rêve démesuré. Peu à peu, il combla l'immense trou, ramena de la bonne terre, nivela le terrain. Il n'avait aucune rancœur. Seulement des regrets: le facteur Cheval avait eu bien de la chance de pouvoir édifier son palais merveilleux. La mesquinerie, la jalousie, la grogne des incapables et des timorés n’existaient pas en son temps? Cheval n'aurait pas de disciple, tant pis.
Vint le jour où Omer tira sa dernière brouette, emporta la dernière pierre. Tout était redevenu comme avant. Il avait même replanté quelques rangées de vigne (fallait voir le sourire des héritiers!). Un rêve fabuleux s'était évanoui, son tombeau de gloire était rasé.
Et le soir même, il mourut.


68. Les moutons bousculent Omer




Omer fut le dernier à monter, les pieds devant, dans le corbillard à chevaux du père Séraphin. Un corbillard solide pourtant, qui aurait pu faire encore bien de l'usage.... Hélas!
Séraphin avait donc attelé ses mules, et derrière, le village suivait: le curé Pan-Pan, les enfants de choeur, la famille, les amis, et tous ceux qui avaient laissé leur pastis quand on avait passé devant le bistrot. La matinée était belle, autant se dégourdir les jambes.
Vous connaissez l'endroit: le cimetière est au fond d'un vallon. Criblé des dernières pâquerettes ce jour-là. Le chemin qui y mène est creux, étroit, bordé de haies épaisses. Pourquoi fallut-il que, le cortège à peine engagé dans ce défilé, Albert et ses trois cents moutons surgissent par derrière? Le troupeau était en retard sur son horaire, les chèvres de tête plus démoniaques que d'habitude, les chiens excités, et Albert faisait déjà des efforts pour ne pas se faire déborder par ses bêtes...
Inquiet, le curé pressa le pas. Séraphin activa ses mules. Tout le cortège se resserra et commença à se marcher sur les talons. Mais vous savez ce que c'est, trois cents brebis qui poussent, qui poussent!
Ce fut un des chiens qui déclencha le drame. Ne maîtrisant plus la situation, il mordit au hasard quelques cuisses dans le troupeau et ce fut soudain la panique. Nom de pas Dieu!
Comme un torrent ayant rompu ses digues, les moutons bousculèrent le cortège funèbre. Impossible de s'échapper par les côtés! Chacun plongea comme il put dans les ronces et les gratte-cul. Hurlant et jurant. C'est alors que les mules s'emballèrent.
Le corbillard fou, poursuivi par le troupeau dévalant comme une tornade, fonça à un train d'enfer vers le cimetière. Séraphin fut éjecté: dans les gratte-culs lui aussi! Une roue lâcha. Puis une autre. Le cercueil faisait des bonds, mais le pire fut évité: le garde champêtre l'avait bien vissé.
Omer fut enterré par un curé en loques, entouré d'une cohorte de déguenillés. Albert s'engueulait avec les héritiers. Et personne n'avait la force de jeter des pierres aux chèvres qui bouffaient les couronnes.



69. L'ami de Manosque



Sur ses vieux jours, Omer s'était inventé un ami. Rien de plus pratique. Un ami imaginaire est un doux réconfort. Disponible, prêt à vous soutenir à chaque instant.
Omer disait:"Mon ami de Manosque est d'accord avec moi. Cette année, le beaujolais a un goût de betterave..."
Ou: "J'ai envie d'aller passer quelques jours chez mon ami de Manosque. Il m'invite. Ça me changera les idées..."
Dans toutes les discussions, cet ami mythique avait le dernier mot. Quand Omer perdait pied, dans des disputes de bistrot, il l'appelait à la rescousse: " Ce que tu dis est faux! Mon ami de Manosque est certain que les grives seront en avance cette automne. A cause de "Chernobil"..."
On lui renvoyait d'ailleurs la balle: "Ton ami de Manosque n'est pas du pays. Il ne peut savoir si la mère Tourette s'est frottée au fils du meunier quand elle était jeunette...."
L'ami de Manosque avait-il jamais existé? A force d'en entendre parler, au village on n'était plus très sûr. Certains le citaient même à leur tour: "L'ami d'Omer, tu sais bien, celui de Manosque, il a vu en quarante l'homme qui a tué le dernier loup des Noirettes..."
Pour un peu, en cas de crise municipale, on aurait fait appel à l'ami salvateur. Devenu une autorité morale éloignée certes, mais incontestable.
Quand Omer mourut, tout le monde s'attendit à voir surgir l'ami incomparable. On lui en voulut de ne pas être là, de ne pas marcher pesamment derrière le corbillard, de ne pas prononcer quelques paroles émues sur la fosse ouverte. Et plusieurs furent près de dire du mal de l'ingrat.
Le lendemain pourtant, une couronne fut mystérieusement rajoutée sur la tombe d'Omer. Sur laquelle on pouvait lire:
"Ton ami de Manosque, mort avec toi."



70. Un nouveau santon



La veille encore on le trouvait casse-pieds, pique-assiette, porté sur la bouteille. Exploiteur de veuves naïves. Indiscret, un peu sale. Et surtout grande gueule.
Mais quand Omer mourut, le village fut en état de choc. On se rendait soudain compte qu'il était l'âme du pays. Sa mémoire.
C'était notre grand-père à tous, déclara solennellement le maire au bistrot. Il en savait plus sur l'histoire de nos familles que n'importe qui. Inspiré, il ajouta:
- Omer était notre dictionnaire... Omer était notre Petit Larousse!
Fortes paroles.
Nous étions quelques jours avant Noël. Un temps sec, avec du givre aux aurores, un ciel de mistral bien propret. La mort d'Omer avait cassé la grande joie qui se préparait. Pan-Pan le curé n'avait même plus envie de préparer la crèche.
Une fameuse crèche pourtant! Renommée à la ronde. Les santons qui la composaient, réalisés par un mouleur de la région, étaient tous de fidèles copies d'anciennes figurines conservées au musée du Vieil-Aix ou du Vieux-Marseille. Elle était l'expression de ce merveilleux anachronisme, né de la ferveur populaire des Provençaux, qui consiste à mêler à la Nativité des personnages de la vie courante.
Autour de l'Enfant Jésus en cire, il y avait donc Marie, Joseph, et l'ange Boufarèu soufflant dans sa trompette à s'en faire péter la sous-ventrière. Les Rois mages, Melchior, Gaspard, Balthazar, avec leur train de chameaux chargés d'or, d'encens et de myrrhe. Tous réglementaires. Mais aussi les bergers de chez nous, avec des agneaux sous leurs capes, le rémouleur et sa machine à pédale, le capucin. Le ravi les bras levés, qui fatigue jamais. Le tambourinaire, le bohémien, l'aveugle, Bartoumiéu le valet de ferme, le ramoneur. Et puis la poissonnière avec ses rougets, le braconnier apportant un lièvre, les adorants à genoux.
Et puis la vieille à la fougasse.
Et puis le joueur de fifre.
Et puis le meunier blanc de farine...
Les santoniers n'ont jamais hésité à ajouter, année après année, les principaux acteurs de leur environnement habituel. IIs continuent aujourd'hui encore.
Aussi, les habitants du village furent à peine surpris quand ils découvrirent leur crèche ce Noël-là. Dernier arrivé, mêlé aux santons traditionnels, c'était bien leur Omer qui était aux côtés de l'âne et du boeuf, avec ses pantalons de velours, sa barbe hirsute, son litron dans la poche de la veste, trois fleurs de lavande à la boutonnière...
Et son regard bleu qui rigolait en douce, pour l’éternité.

Christian Vellas












Pensées et citations d'Omer



(Retrouvées dans les marges de son carnet des commissions et la mémoire de ses amis) .


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• Le bouchon se moque de la forme de la bouteille. A voir sa femme, le Gaston aussi.

• Notre église est pauvre, mais nous avons un portrait de Jésus très ressemblant.

• On ne juge pas de la solidité d'une charrette à la couleur de sa peinture.

• La fille qui te plaît vaut mieux que mille sacs de blé. Dis merde à la dot, si la gamine te botte.

• Il faut oser quitter le droit chemin, pour manger des mûres dans le fossé.

• Renier l'accent de son pays, c'est laver son enfance à l'eau de Javel.

• Il vaut mieux garder une pioche empruntée, plutôt que de rendre une pelle.

• Si les vieux chevaux marchent droit, c'est uniquement pour économiser leurs forces.

• Fifine-la-souris suivait un régime pour se garder en bonne santé. Mais ses privations la rendaient si méchante, qu'elle n'aurait pû attraper pire maladie.

• Méfions-nous de l'eau qui dort, et des veuves qui ronflent.

• Celui qui monte à un arbre trop haut, ne doit pas se plaindre s'il se casse la gueule.

• Boire de l'eau, c'est insulter un vigneron. Mais j'en connais deux ou trois qui le méritent.

• Il ne faut pas dédaigner les filles moches, dans l'espoir d'en trouver de jolies: sinon tu restes comme un couillon en regardant les autres danser.

• On peut faire croire n'importe quoi aux gens des villes. Et même qu'il y a des arbres à olives noires, et des arbres à olives vertes!

• Il n'y a que deux saisons par chez nous: un petit hiver bleu clair, très propre, et un grand été bleu pâle, chauffé jusqu'au blanc. Une saison des pluies? Celui qui raconte ça à un touriste est un traître.

• Il est impossible de rattraper quand on est vieux, toutes les conneries qu'on n'a pas faites quand on était jeune.

• Avant de prendre la fille, fais dix fois le tour de la mère.

• Pour l'ânesse, le cri de l'âne est le chant le plus beau.


Christian Vellas




TABLE






1. La porte de derrière

2. La vraie place du fauteuil rouge

3. Le Désespoir des singes

4. Le gros péché du curé Pan-Pan

5. Omer réinvente l'hameçon

6. Le goût du vin

7. L'Endormi cesse de fumer

8. L'Endormi séduit une aristocrate

9. Discussions d'homme avec Dieu

10. Omer court les mémés

11. Stratégie pour coeurs rouillés

12. Une chatte à l'épuisette

13. Le prototype

14. La tenue de bain

15. Omer guérit les mulets
et les touristes

16. Un dindon qui fait nioc-nioc

17. Les veuves préfèrent
les canaris chanteurs

18. Le miel d'artichaut

19. Omer adopte un grand-père

20. La location d'estivants

21. Un âne son et lumières

22. Omer fait la Noce

23. Le perroquet du curé Pan-Pan

24. Une armoire dans l'arbre

25. Le cochon de trait

26. Expert en Noëls provençaux

27. Les grands moyens

28. Omer défend l'âne

29. Omer fait la quête

30. Une longue vie passée à mourir

31. Quand l'amour est borgne

32. Omer prépare le vin de noces

33. Il y a moins de petits bossus

34. Un travail de Romain

35. L'Hôtel des Mules d'Or

36. Iphigénie pour un été

37. Omer gagne au loto
sans jamais jouer

38. Pan-Pan collectionne les souvenirs

39. Le chien de Titou le berger

40. Omer part avant la fin de l'émission

41. Le dindon part en campagne

42 . Omer se lance dans la distillation

43. Tout finit par un mariage

44. Entre la poire et les châtaignes

45. La mort du blaireau

46. Le cauchemar des haricots

47. La valeur des années

48. Omer expédie
des fromages de chèvre

49. Le triomphe d'Omer
a les yeux crevés

50. Le roi des épouvantails

51. Un fantôme insulte
le garde champêtre

52. Procès et condamnation
d'une corneille

53. Le secret des centenaires

54. Les pauvres ont
des chaussettes brunes

55. Omer cache un mort

56. La chasse à l'ULM

57. Le village d'en face

58. Adieu Iphigénie!

59. La fin scandaleuse de Fifine

60. La messe de 10h 03

61. Au bout de la garantie

62. Omer veut bâtir son tombeau

63. Ce sera du néo-Cheval

64. Le Dali de la truelle

65. Poursuivi par de mauvais dieux

66. Omer danse sur son tombeau

67. La dernière brouette

68. Les moutons bousculent Omer

69. L'ami de Manosque

70. Un nouveau santon


Les derniers exemplaires d' Omer préfère le Désespoir des singes peuvent être encore trouvés et commandés sur internet. Faire une recherche sur un moteur de recherche (Google), en précisant le titre et le nom de l'auteur, Christian Vellas.


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