Décrivez une carte postale: sujet de
"composition française" quand, il y a belle lurette, on essayait
d'apprendre à écrire aux collégiens. Pratique disparue. On en est
aujourd'hui à démolir l'orthographe par ukases et décrets. Alors vous
pensez, donnez des leçons de style! D'ailleurs à quoi cela servirait?
Qui écrit aujourd'hui? Plus personne. On parle avec trois mille mots
(et parfois moins de mille nous confirment des études sociologiques),
on twette avec cent-quarante, on téléphone, on jargonne.
Les professionnels de l'écriture, les journalistes, doivent se plier à
certaines techniques, efficaces certes, mais qui contrarient souvent
leur personnalité, freinent leurs élans et canalisent leur expression.
Démarche logique, je le répète, puisqu'il s'agit d'informer un
lecteur pressé. Et non d'afficher un quelconque talent.
Restent les écrivains. Dont les trois-quarts sont convertis à la
lecture rapide et à l'emploi de verbes limités à trois temps de
l'indicatif! Se laisser aller à plus de raffinements, même si c'est au
détriment de la pensée, coûte trop de lecteurs potentiels en moins. Qui
ne recule, de nos jours, devant les précieuses nuances d'un futur
antérieur ou d'un plus-que-parfait du subjonctif?
Mais à quoi bon grommeler comme un ancien combattant? Touchant, mais
ridicule. Comme de sortir les souvenirs de mon professeur de français,
qui nous proposait sa fameuse carte postale.
"Comparez les écrivains du programme, disait-il. Les uns écrivent avec
leur nez: ce sont les odeurs qui les inspirent. Ils nous font renifler
le sujet dans ses moindres recoins et nous restituent une ambiance
olfactive. D'autres se servent des yeux, ne voient que les couleurs.
Ils tracent à grands traits, comme un peintre, cadrent, équilibrent,
puis retouchent. Certains privilégient les sons, les rumeurs, les
bruits. Ils savent nous faire écouter les plus confus murmures et des
musiques imperceptibles. D'autres n'utilisent que leur intelligence:
leur discours est rigoureux, un peu froid, il y manque la fantaisie de
l'émotion. D'autre encore...
Notez pourtant que c'est toujours la même carte postale. Mais
l'écrivain traduit, ne rend jamais la réalité. Il interprète, modifie,
se découvre. Le style, c'est l'homme!"
C'était, cher professeur, c'était...
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