© Photo Christian Vellas


Salut vieilles branches!

         
                                                                                                                                               

  Avez-vous eu des histoires d'amour avec des arbres? Combien de fois? Seul ou avec d'autres? Il est temps de vous confesser. Car parmi les chocs affectifs qui jalonnent une existence, il n'y a pas que les rencontres et échanges avec des êtres humains, l'amitié d'un chien ou la complicité d'un chat.
 Si je regarde par-dessus mon épaule, je revois une dizaine d'arbres que j'ai aimés dans ma vie. J'aperçois l'amandier de mon enfance, adossé à un mur de pierres séches dans un jardin oublié. Impatients, nous ouvrions d'un coup de dent ses fruits fragiles, encore verts. Pour goûter l'eau de l'amande en formation, qui nous énervait la langue de son amertume. Plus tard, on croquait sa blancheur à peine solidifiée. A l'automne, nous cassions entre deux cailloux les coquilles enfin durcies.
 Un immense cerisier, planté comme une île dans un océan de garrigues, connu de personne, émerge aussi de mes souvenirs. Il fallait une heure de marche pour le découvrir et l'époque de la cueillette était notre trésor secret. On remplissait paniers et musettes en dérangeant des pies, des merles pilleurs. On repérait les traces du blaireau, qui la nuit devait se dresser sur ses pattes de derrière pour atteindre les basses branches. Nous rentrions fabuleusement fourbus.
 Je me souviens d'un noyer penché sur un champ de blé. Une faneuse, avec ses pattes de sauterelle rouillées, était appuyé contre son tronc depuis des années. Nous faisions la sieste sous son ombrage. En rêvant de douceurs diverses. Chaleurs...
 Je revois ce tilleul taillé comme une table, vibrant d'abeilles. Discussions paisibles, jusqu'à l'heure des étoiles. Des moineaux s'y réfugiaient pour la nuit, braillant, piaillant, se chamaillant pour les meilleures places, comme des gosses ivres d'exister.
 Je ferme les yeux, et sens l'odeur de ce pin dont les pignons nous servaient de monnaie: mises aux jeux de cartes, de billes, tractations diverses... Le gagnant ne mangeait pas ses gains, mais les remettaient en circulation: froids calculs déjà.
Que sont ces amis devenus? Certains sont morts pour du béton. D'autres de vieillesse. Un ou deux résistent encore. Quand je les revois, de loin en loin, j'ai envie d'embrasser la peau rugueuse de leurs troncs.